Me voilà au bout de ma semaine au Paradis, fini les pieds nus dans le sable corallien, le personnel plus nombreux que les pensionnaires, l’eau turquoise, chaude et claire… On pourrait s’ennuyer à force, une semaine ne suffit pas. Bon, je ne vous raconte pas la difficulté d’entrer dans l’eau avec une patte folle et des vagues, il faut être accompagné mais c’est bon l’apesanteur une fois dedans ! Ce soir, retour à l’Inde moderne, après-demain, retour à l’Europe moderne, deux claques. Ici, le directeur du Wi-Fi, prononcer ouaï faï s’il vous plaît, vient au petit déjeuner s’assurer de la qualité de la connexion. Comme pour demander si les œufs sont bien cuits vous voyez. Alors on peut compulser les nouvelles lointaines et rigoler un peu. Parmi ces nouvelles et ces débats, il y en a un qui me triture les neurones, c’est cette liste de 37 professions à dérèglementer d’urgence selon Arnaud l’ex redresseur productif. Comme pour tous les changements, une pétition circule pour que le gouvernement retire immédiatement son projet de loi. De quoi s’agit-il ? Comme d’habitude, les commentateurs commentent sans jamais donner de contenu ou si peu. L’habitude des évangiles, un truc de seconde main par l’homme qui a vu l’ours. Quelle tête a-t-il cet ours ? C’est une liste à la Prévert, d’administrateur judiciaire à plâtrier, un four tout impressionnant d’incohérence sociale. Mais prenons quelques exemples dans ce tas.
Le premier, et pour faire plaisir à quelques lecteurs, ce sont les vétérinaires. On réclame aujourd’hui un diplôme et une autorisation préfectorale pour l’exercice en cabinet… dites-moi si je me trompe. En gros, si on ouvre « à la concurrence », il se pourrait qu’en livrant mon Spooky préféré, ce chartreux qui maîtrise si bien ses humains, en le livrant disais-je à un cabinet de vétos on me rende une soupe Pho avec des boulettes de viande en me disant « Tlès bon, toi plendle, toi plendle ». Je m’excuse auprès de mes lecteurs asiatiques, mais aujourd’hui, ils sont la seule communauté dont sur laquelle on peut encore faire des blagues vaseuses sans se retrouver sur Youtube, décapité par un rappeur toulousain fraichement converti ou avec un coup de téléphone d’un centre d’appels de Delhi vous prévenant qu’un char israélien va détruire votre pavillon dans les trois minutes qui viennent. Là, en quatre lignes, je viens de perdre 60% de mon lectorat… En plus, la soupe Pho c’est bon avec des boulettes de bœuf, pas de chat. Bref, je ne sais pas si ouvrir à la concurrence les vétos serait une bonne chose pour mes chats.
Le deuxième exemple, ce sont les toubibs. Une profession que j’adore puisqu’ils ont réussi à me maintenir à peu près en vie jusque-là. Le fond du problème s’appelle « Numerus Clausus ». Il y a peu, j’ai pu gouter aux effets de bord de ce truc en fréquentant assidument l’Hôtel-Dieu. Mon hématologue était Polonaise, mon dermato Péruvien, mon chirurgien thoracique Italien et mon ORL Marocain. Les meilleures perpectives prévoient une péniurie de toubib en tout genre avant la fin de la décennie. J’ai déjà mis six mois pour trouver le neurologue compétent et intéressé par mon cas, je crois que j'y ai laissé une jambe. C’est une profession qui se ferme à nos enfants. J’en connais qui aurait aimé et qui ne me semble pas moins intelligent que certains toubibs que j’ai croisés. Numerus Clausus ta mère !!!
Troisième exemple, et pour rester dans les professions de santé, les infirmiers. Il y a un certain temps, je me suis fait faire des soins à domicile, très simple, un bout de crème dans le dos, oui dans le dos, donc impossible de le faire seul, en plus j’étais en mission, à l’hôtel, enfin, je ne vais pas vous raconter ma vie non plus ! L’infirmière qui m’a fait ça me facturait si peu que je pense qu’avec une dérèglementation, elle payera pour venir.
Je passe sur les plâtriers, les plombiers ou les agents immobiliers.
Prenons la fin de la liste, les taxis. Et là, faisons appel au premier précepte du bouddhisme : maîtriser sa colère. Il est allucinant de voir que le salaire moyen du chauffeur de taxi dans une structure est le SMIC. On mesure par là, la mainmise des compagnies qui travaillent à la limite de l’esclavagisme. Pour avoir bourlingué un peu, Paris est la seule ville que je connaisse où il y a plus de clients que de taxis. A Londres, Séville, Madrid, Chennai, il suffit d’appeler un taxi pour en avoir un. A Paris, le souvenir douloureux d’une soirée de novembre, avec son délicat crachin et ses 2°C, à attendre une grosse demi-heure qu’un taxi daigne vous embarquer, c’est un souvenir partagé par plus d’un Parisien. Là, on se dit qu’une petite dérèglementation serait bienvenue en étant prêt à supporter une semaine de blocage de Paris et de sa région, évidemment.
Je passerai vite sur les pharmaciens avec lesquels j’ai travaillé bien longtemps dans l’industrie. Faire huit ans d’études pour compter des pilules et déchiffrer des ordonnances, il faut que ce soit diablement rémunérateur !
Je passerai encore plus vite sur les greffiers des tribunaux de commerce qui, pour un salaire moyen de 25 fois le SMIC, enregistre les comptes de ma petite entreprise tous les ans. Ils ont raison de faire ce métier, en plus, je suis sur qu’ils font travailler des stagiaires pour classer les dossiers.
Comme d’habitude, plutôt que de faire les choses clairement, un rapport attaque tout ça sous un angle pas très compréhensible pour le péquin moyen, le pourcentage de gain en taxe pour l’état, et un politicien pressé se charge de faire une loi qui lui permettra de se mettre à dos l’ensemble de ses électeurs.
Il va falloir que je m’arrête d’écrire sinon on va croire que je fais un article pour le Monde Diplomatique.